Retraites : la réforme relancera-t-elle les seniors ?

L'âge pivot, la pénibilité, les annuités servent aux politiques et aux syndicats à appuyer là où ça fait mal.

L'âge pivot, la pénibilité, les annuités servent aux politiques et aux syndicats à appuyer là où ça fait mal.

Photo DR

Le report de l'âge légal à 64 ans ne répond pas aux angoisses sociales des plus de 55 ans et leur place dans le marché du travail

Et si, plutôt que de se focaliser sur le totem de l'âge légal de départ à la retraite, on regardait autrement notre rapport au travail ? Si, au lieu de ne se préoccuper que de l'emploi des jeunes, certes de plus en plus tournés vers l'apprentissage, on faisait de leurs aînés dans leur entreprise, leur cuisine ou leur atelier, des alliés naturels ? Et si on opérait ce changement culturel par rapport à un modèle vieux de 50 ans - un modèle senior - qui veut que les plus de 55 ans doivent absolument laisser leur place aux frais sortis d'écoles ou d'universités ? La question, celle de l'obsolescence programmée des travailleurs, est au centre de la réforme des retraites. Elle touche une catégorie de la population où le chômage, souvent contraint, est très mal vécu.

On ne parle pas là des carrières commencées tôt ou des métiers à la pénibilité reconnue. Mais l'impression de "ne plus servir à rien", d'avoir "atteint une date de péremption à 62 ans" flotte chez 102 000 cadres demandeurs d'emploi, dont 36 % de longue durée. Le taux de réemploi après six mois de chômage qui sourit à 48 % des cadres, descend à 43 % chez les plus de 50 ans, 29 % chez ceux qu'on appelle, dans une pudeur cynique, les seniors. Soit les 55 ans et plus.

L'âge pivot, la pénibilité, les annuités servent aux politiques et aux syndicats à appuyer là où ça fait mal. Ils édulcorent la réalité d'une société en train de remettre en question le rapport direct de chacun au travail. "Quand on parle de justice et de progrès social, d'usure professionnelle, on ne parle pas seulement de réforme des retraites, mais du projet de société qu'il y a derrière", souligne Claire Pitollat, députée Renaissance de Marseille. "On est sur un enjeu de société, offre en écho Benoît Payan, maire divers gauche de la ville. La question est de savoir comment on veut vivre. Quelle place on doit donner au travail. Et la question de l'emploi des seniors fait évidemment partie de la réflexion".

"Rester au travail pour transmettre son expérience"

Une cogitation reprise au sein des syndicats, où la bombe à retardement de la dépendance alimente le discours sur le départ en bonne santé, point sur lequel la France est en retard de dix ans sur ses voisins européens. "Il faut faire attention quand on parle des seniors, pointe le sénateur communiste des Bouches-du-Rhône Jérémy Bacchi. Repousser l'âge de départ à la retraite, c'est enlever autant d'aidants dans les familles et de bénévoles dans les associations. C'est coûteux et dangereux pour l'équilibre social". Propos nuancé par la députée Renaissance aixoise Anne-Laurence Pétel, selon qui "on peut aussi avoir envie de rester au travail pour transmettre, partager son expérience. C'est souvent vital pour les entreprises. Or, le taux de chômage des seniors dure trop longtemps. Ce n'est pas tenable".

C'est sur ce fil que se joue une réforme schizophrène. Au moment où les syndicats serrent l'étau dans la rue en rêvant à 60 ans, le Parlement cherche les moyens d'améliorer le texte. Dans un pays où 35,5 % des 60 - 64 ans travaillent, huit points de moins que la moyenne de l'OCDE, le gouvernement vise un passage pour améliorer ce taux d'emploi, synonyme aussi d'un accroissement des cotisations. L'index seniors imaginé par l'exécutif pour obliger les entreprises à déclarer le nombre d'employés de plus de 55 ans est une mesure contestée. "Il permettra de valoriser les bonnes pratiques et de dénoncer les mauvaises", plaide la Première ministre Élisabeth Borne. Il sera un gadget coûteux et dénué d'impact, répondent plusieurs économistes. D'autres pistes, telles que l'accroissement du temps partiel des seniors, la retraite progressive ou l'adaptation des conditions de travail, pourraient dégripper le système. Avec un peu de souplesse, notamment sur le choix de l'âge de départ, dans un projet de Loi aux airs de dogme, elles pourraient transformer la réforme. Et la montrer comme une évolution sociale.

Retrouvez notre dossier complet dans La Provence de ce jeudi

Chez Pernod-Ricard, 24% de salariés à + de 50 ans

La chaîne de production de l'usine Pernod, aux Arnavaux
à Marseille.
La chaîne de production de l'usine Pernod, aux Arnavaux à Marseille. Photo illustration Th.G.

Ils n'ont pas trouvé de formule magique pour aider les seniors au chômage à se recaser. En revanche, chez Pernod-Ricard, tout est fait pour les garder. Depuis quelques années, une politique volontariste a été mise en place pour envisager stratégiquement les fins de carrière dans l'entreprise. Le groupe et ses filiales françaises comptent quelque 600 salariés de plus de 50 ans, soit environ 24 % des effectifs.

"C'est en partie lié à l'ancienneté de nos collaborateurs : quand ils entraient dans le groupe, ils avaient tendance à y rester. Ce sera un peu moins le cas avec les générations qui arrivent, et qui aiment bouger en cours de parcours, observe Judith Matharan, responsable marque employeur et inclusion. D'autre part, nous avons une politique active de développement professionnel dans l'entreprise, et pas seulement entre 30 et 40 ans. C'est une population structurante, nous voulons qu'ils aient envie de rester chez nous. Il y a une logique de succession, avec assez peu de recrutements externes sur les postes de direction."

En mars dernier, le groupe de spiritueux a signé aux côtés de 31 autres grandes entreprises un accord d'engagements auprès des collaborateurs de plus de 50 ans. Ce dernier prévoit notamment des efforts pour leur permettre de se former et de maintenir leur employabilité, des moyens pour favoriser les échanges entre générations ou encore une démarche destinée à aider les salariés à préparer leur départ à la retraite. Un petit bout, sans doute, de la solution.